Allocution prononcée lors de l'inauguration du Palais de la Musique et des Congrès, le 16 octobre 1975 par M. Pierre PFLIMLIN, Maire de Strasbourg - Archives Municipales de Strasbourg
Monsieur le Préfet de la Région,
Monsieur le Représentant du Secrétaire d'État à la Culture,
Mesdames, Messieurs,
Nous célébrons aujourd'hui l'achèvement d'une œuvre qui fait honneur à ceux qui l'ont conçue et réalisée. La mort a empêché Le Corbusier, à qui nous avions d'abord confié cette mission et qui avait choisi le terrain où nous sommes, de donner une forme réalisable au projet qu'il avait imaginé. Nos architectes municipaux ont pris le relais. Si vous trouvez que ce palais est une réussite, je vous demande d'applaudir ses auteurs, MM. François Sauer et Paul Ziegler, Architectes en Chef de la Ville de Strasbourg, et aussi les artistes qui, selon les directives de M. Jacques Bertoux ont participé à sa décoration.
Il eût été difficile à la Ville d'assurer seule le financement d'un projet de cette envergure. J'ai l'agréable devoir de remercier ceux qui nous ont aidés : le Ministère des Affaires Culturelles qui, à l'initiative de M. Landowski, nous a accordé la subvention la plus importante, la Délégation à l'Aménagement du Territoire, enfin le Conseil Général du Bas-Rhin qui, sous l'impulsion de M. André Bord, a marqué une fois de plus d'une manière tangible l'intérêt qu'il porte aux initiatives de la Ville de Strasbourg.
Pourquoi cette initiative ?
Pourquoi ce Palais de la Musique et des Congrès ?
La musique d'abord ! Strasbourg a toujours été une ville éprise de musique. Notre Orchestre Philharmonique, qui grâce au travail en profondeur d'Alceo Galliera, avait déjà atteint une très grande qualité, est en train de conquérir sous la brillante direction d'Alain Lombard une renommée internationale consacrée il y a un an en Union Soviétique, au printemps dernier aux États-Unis, l'an prochain peut-être au Japon.
N'était-il pas naturel de donner aux Strasbourgeois le privilège d'entendre leur Orchestre dans un auditorium plus vaste que le Palais des Fêtes, bénéficiant d'une acoustique plus parfaite, dans un environnement plus prestigieux ? Je suis persuadé qu'ils ne seront pas déçus et que tout à l'heure, lorsqu'Alain Lombard fera revivre le génie de Berlioz, le cadre créé par nos architectes et nos acousticiens contribuera à vous donner le sentiment fantastique.
Ensuite les congrès !
Ville de rencontres, Strasbourg l'est depuis le temps où Charles le Chauve, roi de France, et Louis le Germanique prêtèrent en 842 les Serments de Strasbourg, promesse d'une paix qui malheureusement fut éphémère. Mais plutôt que des affrontements guerriers, je veux me souvenir aujourd'hui des confrontations pacifiques, des échanges d'idées auxquels participèrent à Strasbourg des hommes venus de tous les horizons.
Nous avons donné à la salle où nous sommes le nom d'Érasme. Le grand humaniste de Rotterdam est venu plusieurs fois à Strasbourg pour rencontrer les humanistes strasbourgeois. Il a fait de notre cité, qui était alors une république indépendante, le plus vif éloge. "O divin Platon, écrivait-il en 1514, si le destin avait voulu que tu connusses une république de ce genre, c'est là sans aucun doute, c'est sur cette terre privilégiée que tu aurais institué l'heureuse cité de ton imagination". J'hésite toujours à faire cette citation, car elle pourrait inciter les Strasbourgeois, qui ne sont pas dépourvus d'esprit critique, à faire entre les dirigeants de la république du XVIe siècle et ceux qui administrent aujourd'hui leur ville des comparaisons qui ne seraient pas à l'avantage de ces derniers…
Nous essayons cependant, avec les moyens dont nous pouvons disposer, de rester fidèles à l'héritage des grands siècles strasbourgeois, qui ont fondé le rayonnement de Strasbourg sur des valeurs aujourd'hui menacées ! La liberté de l'esprit, la tolérance qui est le respect du droit - si souvent revendiqué et contesté aujourd'hui - à la différence.
C'est dans les périodes de mutation, de progrès rapide des connaissances, de remise en cause des idées reçues que les hommes éprouvent le besoin de se rencontrer, d'échanger le fruit de leurs recherches, de leurs expériences, de leurs réussites et de leurs échecs. Carrefour des idées au temps de la Renaissance et de la Réforme, Strasbourg est appelée à être au XXe siècle une ville de congrès. Nous pourrons désormais accueillir dans les meilleures conditions possibles des congrès, des journées d'études, des colloques, des symposiums réunissant des hommes qui veulent examiner en commun les problèmes de leur profession, de leur catégorie sociale, de leur discipline scientifique ou technique. Les salles qui leur sont offertes dans ce Palais, les équipements techniques dont elles disposent leur permettront d'accomplir leurs tâches dans les meilleures conditions possibles.
Mais la technique ne suffit pas à tout. L'environnement est devenu l'une des plus grandes préoccupations des hommes de notre temps. L'environnement physique est en effet chose essentielle, mais bien plus encore - me semble-t-il - l'environnement moral. À Strasbourg nos hôtes pourront travailler, réfléchir, discuter, imaginer dans un climat de liberté et d'ouverture.
Ouverture sur l'Europe bien sûr. À quelques centaines de mètres d'ici on construit sur un terrain donné par la Ville de Strasbourg un nouveau Palais de l'Europe, où se réuniront à partir de l'an prochain ceux qui veulent, contre ventes et marées, poursuivre l'effort vers l'unité. À cet effort Strasbourg, fidèle à sa vocation européenne, continuera de participer en accueillant de son mieux l'Assemblée parlementaire des Dix-huit et aussi nous y tenons beaucoup, celle de la Communauté des Neuf.
La décision de créer le Palais que nous inaugurons aujourd'hui répond à cette même vocation. Albert Sorel, évoquant le rôle de l'Université de Strasbourg au XVIIIe siècle, écrit : "Elle est célèbre dans toute l'Europe centrale. Les jeunes Français viennent y regarder l'Europe". Aujourd'hui la France accueille l'Europe à Strasbourg et au-delà de l'Europe, qui ne saurait être un univers égoïstement replié sur lui-même, les hommes de tous els continents avides de mieux se connaître et de découvrir ensemble les voies de l'avenir. De telles rencontres ne seront jamais trop nombreuses si nous voulons que le monde de demain ne soit pas engendré par la violence, mais construit par des hommes de bonne volonté, lucides et généreux.
Puisse Strasbourg devenir un de leurs lieux de rencontres préférés. Le jeune Goethe, étudiant à Strasbourg, écrivait un jour à un ami : "la ville a certains aspects qui peuvent mettre l'âme en mouvement, l'entraîner au bien ou au mal et la faire sortir de son état coutumier". Goethe avait perçu ce que l'on pourrait appeler l'esprit de Strasbourg. Puisse l'esprit de Strasbourg inspirer, pour le bien, tous ceux qui viendront dans cette maison en quête de vérité, de justice et de fraternité humaine.
En décidant de faire construire un Palais de la Musique et des Congrès, le Conseil Municipal de Strasbourg a poursuivi deux objectifs :
- doter notre ville d'un auditorium digne de la haute qualité de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg qui, sous la direction d'Alain Lombard, a acquis une renommée mondiale
- créer un cadre harmonique muni des équipements les plus modernes pour les congrès nationaux et internationaux appelés à se tenir à Strasbourg
En répondant à ces deux préoccupations, nous sommes demeurés fidèles à la tradition de Strasbourg, qui a toujours sur associer le souci de la culture à la recherche du développement économique qui en est l'indispensable fondement.
Mais il était difficile de réunir dans un même édifice les deux fonctions. Toutes les difficultés ont pu être surmontées grâce à la coopération confiante qui s'est instaurée entre l'Administration municipale et les équipes techniques. Le problème particulièrement délicat de l'acoustique a été parfaitement résolu avec le concours de spécialistes éminents.
Du point de vue esthétique, je crois pouvoir affirmer que notre Palais est une réussite exceptionnelle, qui fait honneur aux architectes de la Communauté Urbaine MM. François Sauer, Robert Will et Paul Ziegler. Des artistes de talent ont créé un décor digne de l'architecture selon les directives de M. Jacques Bertoux. La direction des travaux a été assurée avec une remarquable efficacité par M. Marcel Parisot, Président de la société O.P.C.
Tous ceux qui ont participé à cette grande construction ont droit à notre reconnaissance.
J'exprime aussi mes vifs remerciements au Ministère des Affaires Culturelles, à la Délégation à l'Aménagement du Territoire et au Conseil Général du Bas-Rhin qui nous ont accordé des subventions importantes.
Les Strasbourgeois peuvent être fiers de leur Palais de la Musique et des Congrès. Il contribuera grandement, j'en suis sûr, au rayonnement de notre ville et à son expansion économique.
— Pierre PFLIMLIN
Maire de Strasbourg